mardi 29 juillet 2008

LA FIGUE









Souvenirs de fruits, sucrés comme les dattes, sucramers comme les coings, grumeleux comme figues de Barbarie, juteux comme grenades. Odeurs d’épices et de terres chaudes. Cailloux tranchants, eaux claires, vents tièdes et libres ... marcassins, gazelles, sarcelles ...


Et l’Atlas, ligne bleue ourlée de blanc, du côté de l’est.


Nous demeurons au sud d’Agadir. Nous y sommes, à cette époque les seuls Européens ou presque. Tous les matins, une voiture de la Base Aéronavale nous conduit à l’école de la ville : sept kilomètres à parcourir, voiture à carrosserie rectangulaire, noire, le coffre arrière fait saillie, la peinture reluit. Petits rideaux aux vitres, vases de cristal pour y mettre des fleurs. Délicieuse voiture ! Plus tard, le nombre d‘écoliers ayant augmenté, on nous mènera en autobus. l’allégresse y gagnera avec le nombre, se traduisant immanquablement par des chants, des cris, des rires.


-”Imaginez une nouvelle aventure de Pinocchio.”








Ivresse de l’écriture ! Je rivalise avec bonheur avec une fillette de mon âge pour obtenir les meilleures notes. Elle est blonde. Son père est, je crois, médecin. Ses cheveux sont tirés, tressés, roulés en coquilles sur les tempes. Elle a les yeux bleus. Nous avons onze ans. Je l’aime d’amour. Le jour de notre première communion solennelle, nous avons échangé des images pieuses, à placer entre les pages de nos missels tout neufs.
J’ai une autre raison de me souvenir de ma première communion. Je portais un costume sombre et un brassard en dentelles. L’Abbé Souris Prononçait l’homélie ... Pas celui de la “Jouvence”, celui qui était aumônier de la Marine, ancien brancardier pendant la Guerre de Quatorze, trois palmes à sa Croix de Guerre et quatre fois trépané !


-” Qu’est-ce que vous venez faire ici, les enfants ? ... vivre une belle cérémonie et puis après aller faire un bon repas ? _ Eh bien, la Première Communion, ce n’est pas ça !”


À la fin de l’année, mon amie obtint son diplôme de Certificat d’Études Primaires. je ne l’obtins pas : En dehors des compositions françaises, j’étais nul, absolument nul.








-”Ne vas pas la voir !”


Trente ans après ... “Ne vas pas la voir !” - Elle habite à quelques kilomètres de chez moi, sur la côte atlantique. Je n’y suis pas allé. Je ne l’ai jamais revue. C’est aussi bien ainsi, sans doute ... Je garde intact le souvenir de ses cheveux en coquilles et de ses yeux bleus.


-” Ne retourner jamais vers ses amours enfantines, ce sont de trop précieux souvenirs !”




Rentré en France, je subis les épreuves d’un examen nouvellement et opportunément créé. Je composai donc à nouveau :


_” Racontez un livre que vous avez aimé.”


Je racontai ... Les “Mémoires d’un Âne”, de la Comtesse de Ségur ( née Rostopchine ...) Cet examen me permit de rentrer en classe de sixième, à Rochefort-sur-mer, au lycée Pierre Loti, triste bâtisse de style jésuite, hauts murs et fenêtres haut-perchées. Morne passage en ces lieux. Le hall d’entrée, à colonnes de faux marbre, était revêtu de grandes plaques de marbre ( vrai, celui-là ) sur lesquelles s’alignaient les noms des anciens élèves “Morts pour la France”




Listes impressionnantes de Capitaines, de Lieutenants, de Généraux, de spahis, d’artilleurs et de marins avec, face à chaque nom suivi du prénom, une mention du lieu de la bataille qui avait été fatale. On longeait ensuite un long cloître au fond duquel se tapissaient le Surveillant-Général et le Censeur des Études. On parvenait alors au pied de l’escalier qui conduisait au bureau de Monsieur le Proviseur. Il m’arriva une fois de monter cet escalier : Je comparaissais devant le Conseil de Discipline _ Gens doctes et compassés, peu engageants et manquant d’aménité. Je m’étais battu, je crois - Je ne sais pas avec qui - Quand on est , comme je l’étais, fils d’officier, il n’était pas si facile d’exister, en cette période “rouge” d’après guerre. Le Tribunal a tranché : On ne me reprendra pas à la prochaine rentrée.


-” Et puis, vous savez, nous vous conseillons de le placer au plus vite en apprentissage chez un menuisier, ou mieux : chez un ostréiculteur. “


Tout était dit de l’estime en laquelle on me tenait et tout était dit du crédit que l’on accordait à mon avenir ! ... Après tout,peut-être bien que si j’étais devenu ostréiculteur ou menuisier, j’aurais été tout aussi heureux ! ... On ne refait pas le passé.










Pourtant; j’aimais lire, j’aimais raconter, j’aimais les poèmes ... Et j’aimais faire enrager mon frère, le “matheux” :


-” Et pourquoi ne pourrais je pas faire passer plusieurs droites parallèles par le même point ? - Un point n’a pas d’épaisseur, mais une droite non plus : Pas d’épaisseur plus pas d’épaisseur, cela fait toujours pas d’épaisseur !” Il se mettait en colère et me traitait d’imbécile. Ce qui ne me démontait pas. Lui, il avait l’esprit rationnel et scientifique. Il bricolait des postes à galène et installait des haut-parleurs sous le lit de la petite bonne, dans la chambre à côté. Il la faisait ainsi sursauter et hurler en pleine nuit. Moi, je m’intéressais plus à l’élevage des vers à soie, dans des boîtes à chaussures, sur la table de notre chambre.


C’était dit, je ne comprendrais jamais rien aux mathématiques et j’étais imperméable à toute logique. D’ailleurs, je ne savais même pas mes tables de multiplication ... C’est tout dire !


Après le lycée de Rochefort, j’allai donc en pension ... chez les Frères ! Je n’y restai qu’une année. J’y serais bien resté plus longtemps, mais je dus suivre ma famille vers une nouvelle affectation paternelle.








-”N’a pas l’esprit de Saint Gabriel”, écrivit le Très Cher Frère Directeur en marge de mon livret scolaire. Je n’ai jamais su ce que pouvait bien être ce fameux “Esprit de Saint Gabriel” et je ne comprendrai jamais sans doute en quoi il me faisait défaut, ce qui démontre bien que les annotations des livrets scolaires ne servent à rien, sauf parfois à blesser ceux qui en sont les victimes. J’ai pourtant souvenir d’avoir “saboté” comme les autres dans la cour de récréation (nous portions des galoches de bois en ces temps d’après-guerre ). J’aimais bien la chapelle, juste assez grande pour que nous en remplissions tous les bancs. Elle sentait le bois et la cire. J’avais un missel noir et volumineux, aussi gros qu’un Petit Larousse ! Je jetais un coup d’oeil oblique sur ce que faisait mon voisin lorsqu’il tournait les pages : Je n’ai jamais su me débrouiller tout seul pour cela et je n’ai jamais rien compris au Latin que l’on utilisait en ce temps-là pour les prières ! J’ouvrais la bouche comme les autres, et je la refermais comme les autres, pour faire croire que je chantais comme eux. On m’avait convaincu une fois pour toutes que je chantais faux, et d’ailleurs je n’ai jamais su aucun cantique. Les portées musicales qui remplissaient mes pages étaient sans signification aucune pour moi, ( Il en est toujours ainsi maintenant et je regrette vivement que personne ne soit parvenu à m’y intéresser ).










Le dimanche, nous assistions à la “Petite Messe”, puis à la “Grande Messe”, à la Bénédiction, et aux Vêpres. À l’autel, nous tournant le dos, un prêtre s’occupait à ses affaires, qui étaient bien étrangères aux miennes. Il marmonnait et chantait, alternativement mais toujours en Latin. J’avais mémorisé quelques bribes que je saurais encore restituer. Je somnolais parfois un peu pendant les homélies, mais je n’étais pas le seul. Quand mes condisciples se relevaient tous ensemble pour s’agenouiller ensuite, j’en faisais autant.


Parfois, dans la grande salle de conférences qui nous contenait tous, des prêtres missionnaires venaient nous parler de leurs travaux en Afrique. Je cotisais comme les autres à la “Ligue Maritime et Coloniale”, ( Je ne crois pas qu’elle s’était déjà rebaptisée “Ligue Maritime et d’Outre-Mer” ). En tout cas, beaucoup plus que mes camarades, je me sentais proche de la Marine et de l’Outre-Mer. J’y avais quelques références ...


Nous jouions au football dans la prairie, parfois. Je n’y excellais pas, mais je m’amusais bien. Un Frère relevait sa soutane et faisait fonction d’arbitre. Il n’en finissait pas de souffler dans son sifflet à roulette. Un beau jour de printemps, on organisa un concours de pêche à la ligne., au bord de la rivière.




Je ne pris pas le moindre gardon, mais j’avais été heureux parmi les roseaux. Et si c’était ça, le bonheur ?


Par contre, aux combats de lutte, j’étais imbattable. De la “prise de l’ours”, je m’étais fait une spécialité, misant, pour la réussir, sur ma taille et sur mon poids. Mais un seul concours de lutte fut organisé ... Dommage, cela m’avait permis “d’exister”. Chacun a bien besoin de se sentir “exister” en quelque domaine.


Deux ou trois fois par an on organisait un jeu collectif étrange, que je n’ai jamais retrouvé ailleurs et dont je ne connais pas les origines : Cela tenait de la thèque, et donc du base-ball, mais on jouait monté sur des échasses et en sabots de bois. Je n’y ai pas joué personnellement, étant relégué aux rangs des spectateurs. Sans doute eût-il fallu demeurer beaucoup plus longtemps à la Pension Saint-Gabriel pour avoir droit aux échasses et être intégré à une équipe. Les jeunes Vendéens n’étaient pas toujours très fraternels vis à vis des “étrangers”.


Il m’arrivait de me sentir malheureux. je me réfugiais alors à la lingerie. Là aussi, cela sentait bon le bois de chêne et la cire d’abeilles. Cela sentait aussi le drap repassé humide, et un peu la lessive encore.










Nos vêtements étaient pliés et empilés dans des casiers, chaque pile surmontée de la casquette galonnée, la veste bleu-marine suspendue à côté, que nous porterions pour les dimanches de sortie.




Je ne sortais pas. On ne venait me chercher qu’à la fin de chaque trimestre.


À Saint-Gabriel, on m’apprit un peu ... à jouer du clairon ! ... pour la fanfare qui précédait nos colonnes à travers les villages et les bourgs, de reposoir en reposoir ... Il y en a, des reposoirs, en Vendée !


Si j’ai gardé un souvenir ému du “Frère Linger”, c’est que c’était un brave homme. Il me faisait boire du tilleul, dans une grosse tasse en faïence, sur sa table à repasser .


J’aimais bien aussi le “Frère Cordonnier”. Il clouait des bandes de caoutchouc sous les semelles de nos galoches. J’aimais aussi le “Frère-Portier”. Vingt ans plus tard, alors que je passais par là pour revoir notre chapelle, je retrouvai, dans les mêmes fonctions, le “Frère-Portier”... et il se souvenait très bien de moi !














“L’ Académie de Saint-Gabriel”, une ou deux fois par an, organisait des “concours littéraires”. Les “Académiciens” siégeaient sur l’estrade de la salle de conférences, le jour de la proclamation des prix. J’obtins une mention, décernée pour “les contrastes de mon style”.


j’avais eu à présenter une composition sur la nativité. Il est vrai que je réussissais toujours assez bien mes compositions françaises, mais là se bornaient mes talents. Je n’ai même jamais rien su en grammaire ou en arithmétique. Peut-être mon esprit y était-il hermétique, ou bien avait-on tenté de me les enseigner de façon aussi adéquate qu’on l‘avait fait en éducation musicale ... Il me fallut longtemps pour ne pas paraître complètement stupide en ces matières, encore que je ne sois pas très certain d’y être parvenu !


J’obtins pourtant un premier prix ... en Histoire Religieuse ! Mais je suis encore beaucoup plus fier de la mention accordée par “l’Académie”.


Cependant, je n’avais pas “l’Esprit de Saint-Gabriel” ! C’était écrit ... Il est vrai que j’avais eu parfois des velléités d’arguties pour opposer la liberté de l’homme à la Toute-Puissance-de-Dieu .... Trop, et trop tôt de philosophie ?




***
Un beau jour, je me retrouvai en Provence. Il fut difficile, semble-t-il, de trouver un établissement scolaire dans lequel on voulut bien m’accueillir. Mon frère aîné fréquentait le lycée de Draguignan mais sans doute mes références étaient-elles insuffisantes pour que l’on m’en ouvrît les portes ... C’est dommage, j’y ai manqué la rencontre avec le beau-père de “François”. Il en était le proviseur.


-”Nous aurons tout tenté. Attendons encore un peu avant de le mettre en apprentissage ..;”


A titre d’essai, mes parents m’avaient tout de même envoyé passer les vacances chez un ostréiculteur du bassin de Marennes. J’avais beaucoup apprécié les expéditions en bateau dans les parcs à huîtres de la Seudre.


Me voilà à Lorgues, inscrit au “Collège Moderne et Technique”. L’adjectif “moderne” était rassurant : on ne me demanderait plus jamais d’étudier le latin ! La période qui commençait alors s’avéra très étrange, initiatrice, inoubliable. Je fus à la fois très heureux et très malheureux, et ces alternances ne sont-elles pas l’image de la vie ? Comment débuter le récit ? Quelle chronologie, quelle logique , J’eus des moments très forts, très sensuels, très créateurs. Ce fut un véritable, un authentique printemps ...










Dans un contexte inimaginable, incroyable. Je vécus à la fois les aventures du “Petit Chose” et celles du “Grand Meaulnes”. Je vécus des ivresses à la manière de “Manon des Sources”, des rêveries à la Giono, des emballements dignes de Fabrice del Dongo. je me trouvais dans le pays des “félibres”, je piègeais les grives, comme le petit Pagnol..


Lorgues est un gros bourg situé au-dessus de la cuvette des Arcs et de Vidauban. On y est dans la montagnette et près des pins. De là-haut, on dévale vers Le Cannet-des-Maures et le Luc où demeuraient mes parents, puis vers Saint-Raphaël ou vers Soliès. On n’est pas bien loin de Barjols où l’on fête “les Tripettes” chaque année, en dansant dans l’église. On n’est pas bien loin de Gonfaron ... Vous savez bien, la ville où la population, rangée en file indienne souffle dans le derrière de l’âne avec un chalumeau, pour le gonfler et le faire voler ! Et puis le dernier qui s’est présenté a retourné la paille pour ne pas porter à ses lèvres l’extrémité sucée par les autres ... Ah, l’hygiène, mon cher ! Fréjus est proche, et Sainte Maxime, Toulon ...










Lorgues s’organise de part et d’autres d’une avenue en pente. Cette avenue, comme il se doit, est bordée des deux côtés de grands platanes. Comme il se doit également, il y a une fontaine qui chantonne nuit et jour, et l’eau des fontaines était potable en ce temps-là. Comme il se doit, on boit le pastis et on joue aux boules. Vers midi, la petite ville est écrasée de soleil. Personne ne s’y montre, pas même aux alentours du bistrot dont le patron a fermé le rideau à demie. Il n’y a personne aux abords du petit garage où René Viéto et ses équipiers remisent leurs vélos. Tout en haut de l’avenue, derrière une grille, se dresse la bâtisse carrée du Collège “Moderne et Technique”.


_”C’était hier, n’est-ce pas ?” m’a dit la serveuse du bar ...


_” C’était hier !”

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