samedi 2 août 2008

LA BOULE










Lorsque j'étais en Algérie, en mille neuf cent quarante quatre, j'avais été pris en amitié, ou en pitié, par notre voisin, Monsieur Reder ... J'ai perdu de vue les Reder dans la débâcle de mille neuf cent soixante deux ... Mais le fils, Jean-Pierre, qui était mon condisciple au lycée Lamoricière, lorsque nous étions en classe de sixième, avait les cheveux si bruns, les yeux si bleus ! Son père était d'ascendance alsacienne, sa mère était une Andalouse. Monsieur Reder me menait au musée lorsqu'il n'y avait pas classe. Je me souviens qu'un jour, téléphonant à ma mère, il lui demanda si j'étais digne d'une sortie :


-" Pas de mensonge cette semaine ? On peut l'emmener ?


Je devais avoir douze ou treize ans à ce moment-là. Ce fut moi qui répondis au téléphone. Il me sembla que si je me présentais la conscience nette, on ne me croirait pas. J'inventai de toutes pièces un mensonge :


-"j'ai seulement volé une orange et je n'ai pas voulu me dénoncer;


Le chapardage n'avait jamais eu lieu, le mensonge non plus. Ainsi, j'étais plausible. La preuve : On me crut. J'allai au musée.


En Provence, je me souviens que mes parents me conduisirent chez un médecin dont on leur avait dit grand bien. Il passait pour très docte; Il était homéopathe et, deplus ... radiesthésiste ! Rond, court sur pattes, chauve mais barbu, portant bésicles surannés, inquiétant, mais affable.


-"Mais non, on ne te era pas de mal. Tu vas voir !"


Il faut dire qu'il y avait des antécédents : Chez le dentiste, contournant le siège à bascule, j'avais réussi à prendre la porte et à m'enfuir dans la rue ...


Il prit sa boule, suspendue à une ficelle. dans quel sens tournait la boule ? Quelle était l'amplitude de ses girations ? Il me tâtait de la main gauche, la droite tenant le fil ...


-"Et s'il perdait la boule ? "


Ses yeux ne me regardaient pas. Ils fixaient le pendule.


-"Ce n'est pas la peine de te déshabiller."


Il a tâté mon plexus, ma tête sous toutes les coutures, mon ventre, les genoux, les coudes ...


-"Alors, Docteur ?"


On me fit sortir. Je me serais pourtant cru assez vieux pour entendre ce qui se dirait. On me remit un petit flacon rempli de pillules minuscules, toutes blanches. Il me fallait emporter le flacon à la pension, prendre trois pillules avant chaque repas.


-"N'oublie surtout pas !"


Je les pris, et constatai que les pillules n'avaient pas de goût, à l'inverse de l'huile de foie de morue que j'avalais depuis un certain temps déjà.


-"Mais qu'est-ce qu'il a dit, le Docteur ?"


Je n'avais réussi à entendre que bien peu de choses, à travers la porte du cabinet.


-" Dans sa prime enfance, il a dû faire une encéphalite qui est retée inaperçue."


"Allons bon ... Une encéphalite ... Et qu'est-ce que c'est que ça ?"


Puisqu'on m'avait donné des pilules, c'était que mon cas n'était pas désespéré. Je n'y pensai plus. On ne renouvela pas le flacon de pilules: Je devais être guéri au moment où j'avalai les trois dernières ! Je refoulai tout cela dans mon subconscient et je parvins assez facilement à ne plus y penser. Mais cela faisait tout de même beaucoup) à refouler ...Docteur Freud, les pilules m'ont-elles guéri ?


Événements mal oblitérés ... Te souviens-tu ? C'était encore à Oran. Après la classe, j'étais allé couper des roseaux dans un ravin. Pour en faire quoi, il ne m'en souvient pas. Ils étaient fleuris et portaient des bougies brunes. Je pense que je voulais tout simplement en faire un bouquet pour l'offrir à ma mère, efin d'en garnir un vase ... Mon père utilisa les roseaux pour me donner les verges afin de punir mon retard !


Longtemps, j'ai eu l'impression d'une fatalité : Chaque fois que j'attendais un compliment, un baiser ... C'était juste à ce moment-là qu'on venait de découvrir quelque chose à me reprocher, quelque chose qui remontait à la veille, parfois!
Va donc ! Pourquoi le soleil, en se levant le matin n'effaçait-il pas le souvenir des événements de la veille ? Pourquoi le jour naissant n'était-il pas tout neuf ?


Quels mensonges d'ailleurs, quels petits chapardages pouvait-on me reprocher ? Je n'ai souvenir de rien qui méritât vraiment d'être retenu. Ah ! Si l'on avait su "gratter sous la peau" ! Ce coeur qui ne demandait qu'à se dilater ! Ce coeur qui ne demandait qu'à aimer !


Mon jeune frère, ma jeune soeur ? Trop jeunes encore. L'un avait cinq ans de moins que moi, l'autre était de dix ans ma cadette. Je n'avais donc d'autres ressources que de me créer "Mon Royaume à Moi".

Aucun commentaire: