mardi 29 juillet 2008

LA FIGUE









Souvenirs de fruits, sucrés comme les dattes, sucramers comme les coings, grumeleux comme figues de Barbarie, juteux comme grenades. Odeurs d’épices et de terres chaudes. Cailloux tranchants, eaux claires, vents tièdes et libres ... marcassins, gazelles, sarcelles ...


Et l’Atlas, ligne bleue ourlée de blanc, du côté de l’est.


Nous demeurons au sud d’Agadir. Nous y sommes, à cette époque les seuls Européens ou presque. Tous les matins, une voiture de la Base Aéronavale nous conduit à l’école de la ville : sept kilomètres à parcourir, voiture à carrosserie rectangulaire, noire, le coffre arrière fait saillie, la peinture reluit. Petits rideaux aux vitres, vases de cristal pour y mettre des fleurs. Délicieuse voiture ! Plus tard, le nombre d‘écoliers ayant augmenté, on nous mènera en autobus. l’allégresse y gagnera avec le nombre, se traduisant immanquablement par des chants, des cris, des rires.


-”Imaginez une nouvelle aventure de Pinocchio.”








Ivresse de l’écriture ! Je rivalise avec bonheur avec une fillette de mon âge pour obtenir les meilleures notes. Elle est blonde. Son père est, je crois, médecin. Ses cheveux sont tirés, tressés, roulés en coquilles sur les tempes. Elle a les yeux bleus. Nous avons onze ans. Je l’aime d’amour. Le jour de notre première communion solennelle, nous avons échangé des images pieuses, à placer entre les pages de nos missels tout neufs.
J’ai une autre raison de me souvenir de ma première communion. Je portais un costume sombre et un brassard en dentelles. L’Abbé Souris Prononçait l’homélie ... Pas celui de la “Jouvence”, celui qui était aumônier de la Marine, ancien brancardier pendant la Guerre de Quatorze, trois palmes à sa Croix de Guerre et quatre fois trépané !


-” Qu’est-ce que vous venez faire ici, les enfants ? ... vivre une belle cérémonie et puis après aller faire un bon repas ? _ Eh bien, la Première Communion, ce n’est pas ça !”


À la fin de l’année, mon amie obtint son diplôme de Certificat d’Études Primaires. je ne l’obtins pas : En dehors des compositions françaises, j’étais nul, absolument nul.








-”Ne vas pas la voir !”


Trente ans après ... “Ne vas pas la voir !” - Elle habite à quelques kilomètres de chez moi, sur la côte atlantique. Je n’y suis pas allé. Je ne l’ai jamais revue. C’est aussi bien ainsi, sans doute ... Je garde intact le souvenir de ses cheveux en coquilles et de ses yeux bleus.


-” Ne retourner jamais vers ses amours enfantines, ce sont de trop précieux souvenirs !”




Rentré en France, je subis les épreuves d’un examen nouvellement et opportunément créé. Je composai donc à nouveau :


_” Racontez un livre que vous avez aimé.”


Je racontai ... Les “Mémoires d’un Âne”, de la Comtesse de Ségur ( née Rostopchine ...) Cet examen me permit de rentrer en classe de sixième, à Rochefort-sur-mer, au lycée Pierre Loti, triste bâtisse de style jésuite, hauts murs et fenêtres haut-perchées. Morne passage en ces lieux. Le hall d’entrée, à colonnes de faux marbre, était revêtu de grandes plaques de marbre ( vrai, celui-là ) sur lesquelles s’alignaient les noms des anciens élèves “Morts pour la France”




Listes impressionnantes de Capitaines, de Lieutenants, de Généraux, de spahis, d’artilleurs et de marins avec, face à chaque nom suivi du prénom, une mention du lieu de la bataille qui avait été fatale. On longeait ensuite un long cloître au fond duquel se tapissaient le Surveillant-Général et le Censeur des Études. On parvenait alors au pied de l’escalier qui conduisait au bureau de Monsieur le Proviseur. Il m’arriva une fois de monter cet escalier : Je comparaissais devant le Conseil de Discipline _ Gens doctes et compassés, peu engageants et manquant d’aménité. Je m’étais battu, je crois - Je ne sais pas avec qui - Quand on est , comme je l’étais, fils d’officier, il n’était pas si facile d’exister, en cette période “rouge” d’après guerre. Le Tribunal a tranché : On ne me reprendra pas à la prochaine rentrée.


-” Et puis, vous savez, nous vous conseillons de le placer au plus vite en apprentissage chez un menuisier, ou mieux : chez un ostréiculteur. “


Tout était dit de l’estime en laquelle on me tenait et tout était dit du crédit que l’on accordait à mon avenir ! ... Après tout,peut-être bien que si j’étais devenu ostréiculteur ou menuisier, j’aurais été tout aussi heureux ! ... On ne refait pas le passé.










Pourtant; j’aimais lire, j’aimais raconter, j’aimais les poèmes ... Et j’aimais faire enrager mon frère, le “matheux” :


-” Et pourquoi ne pourrais je pas faire passer plusieurs droites parallèles par le même point ? - Un point n’a pas d’épaisseur, mais une droite non plus : Pas d’épaisseur plus pas d’épaisseur, cela fait toujours pas d’épaisseur !” Il se mettait en colère et me traitait d’imbécile. Ce qui ne me démontait pas. Lui, il avait l’esprit rationnel et scientifique. Il bricolait des postes à galène et installait des haut-parleurs sous le lit de la petite bonne, dans la chambre à côté. Il la faisait ainsi sursauter et hurler en pleine nuit. Moi, je m’intéressais plus à l’élevage des vers à soie, dans des boîtes à chaussures, sur la table de notre chambre.


C’était dit, je ne comprendrais jamais rien aux mathématiques et j’étais imperméable à toute logique. D’ailleurs, je ne savais même pas mes tables de multiplication ... C’est tout dire !


Après le lycée de Rochefort, j’allai donc en pension ... chez les Frères ! Je n’y restai qu’une année. J’y serais bien resté plus longtemps, mais je dus suivre ma famille vers une nouvelle affectation paternelle.








-”N’a pas l’esprit de Saint Gabriel”, écrivit le Très Cher Frère Directeur en marge de mon livret scolaire. Je n’ai jamais su ce que pouvait bien être ce fameux “Esprit de Saint Gabriel” et je ne comprendrai jamais sans doute en quoi il me faisait défaut, ce qui démontre bien que les annotations des livrets scolaires ne servent à rien, sauf parfois à blesser ceux qui en sont les victimes. J’ai pourtant souvenir d’avoir “saboté” comme les autres dans la cour de récréation (nous portions des galoches de bois en ces temps d’après-guerre ). J’aimais bien la chapelle, juste assez grande pour que nous en remplissions tous les bancs. Elle sentait le bois et la cire. J’avais un missel noir et volumineux, aussi gros qu’un Petit Larousse ! Je jetais un coup d’oeil oblique sur ce que faisait mon voisin lorsqu’il tournait les pages : Je n’ai jamais su me débrouiller tout seul pour cela et je n’ai jamais rien compris au Latin que l’on utilisait en ce temps-là pour les prières ! J’ouvrais la bouche comme les autres, et je la refermais comme les autres, pour faire croire que je chantais comme eux. On m’avait convaincu une fois pour toutes que je chantais faux, et d’ailleurs je n’ai jamais su aucun cantique. Les portées musicales qui remplissaient mes pages étaient sans signification aucune pour moi, ( Il en est toujours ainsi maintenant et je regrette vivement que personne ne soit parvenu à m’y intéresser ).










Le dimanche, nous assistions à la “Petite Messe”, puis à la “Grande Messe”, à la Bénédiction, et aux Vêpres. À l’autel, nous tournant le dos, un prêtre s’occupait à ses affaires, qui étaient bien étrangères aux miennes. Il marmonnait et chantait, alternativement mais toujours en Latin. J’avais mémorisé quelques bribes que je saurais encore restituer. Je somnolais parfois un peu pendant les homélies, mais je n’étais pas le seul. Quand mes condisciples se relevaient tous ensemble pour s’agenouiller ensuite, j’en faisais autant.


Parfois, dans la grande salle de conférences qui nous contenait tous, des prêtres missionnaires venaient nous parler de leurs travaux en Afrique. Je cotisais comme les autres à la “Ligue Maritime et Coloniale”, ( Je ne crois pas qu’elle s’était déjà rebaptisée “Ligue Maritime et d’Outre-Mer” ). En tout cas, beaucoup plus que mes camarades, je me sentais proche de la Marine et de l’Outre-Mer. J’y avais quelques références ...


Nous jouions au football dans la prairie, parfois. Je n’y excellais pas, mais je m’amusais bien. Un Frère relevait sa soutane et faisait fonction d’arbitre. Il n’en finissait pas de souffler dans son sifflet à roulette. Un beau jour de printemps, on organisa un concours de pêche à la ligne., au bord de la rivière.




Je ne pris pas le moindre gardon, mais j’avais été heureux parmi les roseaux. Et si c’était ça, le bonheur ?


Par contre, aux combats de lutte, j’étais imbattable. De la “prise de l’ours”, je m’étais fait une spécialité, misant, pour la réussir, sur ma taille et sur mon poids. Mais un seul concours de lutte fut organisé ... Dommage, cela m’avait permis “d’exister”. Chacun a bien besoin de se sentir “exister” en quelque domaine.


Deux ou trois fois par an on organisait un jeu collectif étrange, que je n’ai jamais retrouvé ailleurs et dont je ne connais pas les origines : Cela tenait de la thèque, et donc du base-ball, mais on jouait monté sur des échasses et en sabots de bois. Je n’y ai pas joué personnellement, étant relégué aux rangs des spectateurs. Sans doute eût-il fallu demeurer beaucoup plus longtemps à la Pension Saint-Gabriel pour avoir droit aux échasses et être intégré à une équipe. Les jeunes Vendéens n’étaient pas toujours très fraternels vis à vis des “étrangers”.


Il m’arrivait de me sentir malheureux. je me réfugiais alors à la lingerie. Là aussi, cela sentait bon le bois de chêne et la cire d’abeilles. Cela sentait aussi le drap repassé humide, et un peu la lessive encore.










Nos vêtements étaient pliés et empilés dans des casiers, chaque pile surmontée de la casquette galonnée, la veste bleu-marine suspendue à côté, que nous porterions pour les dimanches de sortie.




Je ne sortais pas. On ne venait me chercher qu’à la fin de chaque trimestre.


À Saint-Gabriel, on m’apprit un peu ... à jouer du clairon ! ... pour la fanfare qui précédait nos colonnes à travers les villages et les bourgs, de reposoir en reposoir ... Il y en a, des reposoirs, en Vendée !


Si j’ai gardé un souvenir ému du “Frère Linger”, c’est que c’était un brave homme. Il me faisait boire du tilleul, dans une grosse tasse en faïence, sur sa table à repasser .


J’aimais bien aussi le “Frère Cordonnier”. Il clouait des bandes de caoutchouc sous les semelles de nos galoches. J’aimais aussi le “Frère-Portier”. Vingt ans plus tard, alors que je passais par là pour revoir notre chapelle, je retrouvai, dans les mêmes fonctions, le “Frère-Portier”... et il se souvenait très bien de moi !














“L’ Académie de Saint-Gabriel”, une ou deux fois par an, organisait des “concours littéraires”. Les “Académiciens” siégeaient sur l’estrade de la salle de conférences, le jour de la proclamation des prix. J’obtins une mention, décernée pour “les contrastes de mon style”.


j’avais eu à présenter une composition sur la nativité. Il est vrai que je réussissais toujours assez bien mes compositions françaises, mais là se bornaient mes talents. Je n’ai même jamais rien su en grammaire ou en arithmétique. Peut-être mon esprit y était-il hermétique, ou bien avait-on tenté de me les enseigner de façon aussi adéquate qu’on l‘avait fait en éducation musicale ... Il me fallut longtemps pour ne pas paraître complètement stupide en ces matières, encore que je ne sois pas très certain d’y être parvenu !


J’obtins pourtant un premier prix ... en Histoire Religieuse ! Mais je suis encore beaucoup plus fier de la mention accordée par “l’Académie”.


Cependant, je n’avais pas “l’Esprit de Saint-Gabriel” ! C’était écrit ... Il est vrai que j’avais eu parfois des velléités d’arguties pour opposer la liberté de l’homme à la Toute-Puissance-de-Dieu .... Trop, et trop tôt de philosophie ?




***
Un beau jour, je me retrouvai en Provence. Il fut difficile, semble-t-il, de trouver un établissement scolaire dans lequel on voulut bien m’accueillir. Mon frère aîné fréquentait le lycée de Draguignan mais sans doute mes références étaient-elles insuffisantes pour que l’on m’en ouvrît les portes ... C’est dommage, j’y ai manqué la rencontre avec le beau-père de “François”. Il en était le proviseur.


-”Nous aurons tout tenté. Attendons encore un peu avant de le mettre en apprentissage ..;”


A titre d’essai, mes parents m’avaient tout de même envoyé passer les vacances chez un ostréiculteur du bassin de Marennes. J’avais beaucoup apprécié les expéditions en bateau dans les parcs à huîtres de la Seudre.


Me voilà à Lorgues, inscrit au “Collège Moderne et Technique”. L’adjectif “moderne” était rassurant : on ne me demanderait plus jamais d’étudier le latin ! La période qui commençait alors s’avéra très étrange, initiatrice, inoubliable. Je fus à la fois très heureux et très malheureux, et ces alternances ne sont-elles pas l’image de la vie ? Comment débuter le récit ? Quelle chronologie, quelle logique , J’eus des moments très forts, très sensuels, très créateurs. Ce fut un véritable, un authentique printemps ...










Dans un contexte inimaginable, incroyable. Je vécus à la fois les aventures du “Petit Chose” et celles du “Grand Meaulnes”. Je vécus des ivresses à la manière de “Manon des Sources”, des rêveries à la Giono, des emballements dignes de Fabrice del Dongo. je me trouvais dans le pays des “félibres”, je piègeais les grives, comme le petit Pagnol..


Lorgues est un gros bourg situé au-dessus de la cuvette des Arcs et de Vidauban. On y est dans la montagnette et près des pins. De là-haut, on dévale vers Le Cannet-des-Maures et le Luc où demeuraient mes parents, puis vers Saint-Raphaël ou vers Soliès. On n’est pas bien loin de Barjols où l’on fête “les Tripettes” chaque année, en dansant dans l’église. On n’est pas bien loin de Gonfaron ... Vous savez bien, la ville où la population, rangée en file indienne souffle dans le derrière de l’âne avec un chalumeau, pour le gonfler et le faire voler ! Et puis le dernier qui s’est présenté a retourné la paille pour ne pas porter à ses lèvres l’extrémité sucée par les autres ... Ah, l’hygiène, mon cher ! Fréjus est proche, et Sainte Maxime, Toulon ...










Lorgues s’organise de part et d’autres d’une avenue en pente. Cette avenue, comme il se doit, est bordée des deux côtés de grands platanes. Comme il se doit également, il y a une fontaine qui chantonne nuit et jour, et l’eau des fontaines était potable en ce temps-là. Comme il se doit, on boit le pastis et on joue aux boules. Vers midi, la petite ville est écrasée de soleil. Personne ne s’y montre, pas même aux alentours du bistrot dont le patron a fermé le rideau à demie. Il n’y a personne aux abords du petit garage où René Viéto et ses équipiers remisent leurs vélos. Tout en haut de l’avenue, derrière une grille, se dresse la bâtisse carrée du Collège “Moderne et Technique”.


_”C’était hier, n’est-ce pas ?” m’a dit la serveuse du bar ...


_” C’était hier !”

samedi 19 juillet 2008

L'ORANGE AMÈRE








Sur quatre enfants, j’étais le second fils d’un officier de marine qui ne servait pas sur la mer : Il arborait un écusson de pilote d’avion. J’ai des souvenirs de ballons, ballons ronds dits “libres”, ballons longs dits “saucisses”, ballons à propulsion motorisée dits “dirigeables” ...

Un bateau qui s’appelait “le Cèdre” tractait des saucisses aux alentours de l’île d’Oléron. Il me reste aux narines l’odeur du caoutchouc échauffé par le soleil du mois d’août, dans une clairière entourée de pins maritimes.

J’ai aussi des souvenirs d’étranges insectes de bambous, de bois et de toile huilée ... et qui volaient ! Parmi les plus invraisemblables citons les “ Poux du Ciel”, les “avionnettes” et les “autogires”, ces derniers pouvant être considérés comme les ancêtres des hélicoptères modernes. Ils volaient, mais aussi, souvent, ils se brisaient.

Il me suffisait de grimper sur une chaise, dans notre salle de bains, pour manipuler en cachette le casque de cuir souple et les lunettes de pilote de mon père.




Dans le même placard, se trouvait le sabre, avec des galons d’or pendant à la garde. Fourreau noir. Dans une boîte en bois dont la forme pouvait intriguer je découvris un jour le bicorne à cocarde. Bicorne et sabre équipent mon père dont l’image figure sur une photo prise à Rochefort lors de la cérémonie au cours de laquelle on lui remit La Croix.

Un matin de septembre mille neuf cent trente neuf ... Il faisait beau. Mon père, perché sur le toit de la maison où nous passions nos vacances, en Oléron, rangeait des tuiles. Est-ce qu’il m’en souvient bien, ou le souvenir n’est que rapporté ? Les gendarmes vinrent annoncer la déclaration de guerre et la mobilisation.

La guerre ... Elle commence pour moi dans un chambardement, un bruit d’apocalypse. C’est le premier souvenir dont je suis absolument sûr qu’il soit direct et personnel. J’avais sept ans. Je grimpai les escaliers métalliques à toute vitesse. Je croyais que le bateau coulait. Nous nous trouvions au large de Gibraltar. Je dormais sur ma couchette dans les entrailles du navire qui nous conduisait à Casablanca. Mes parents devaient prendre le frais sur le pont à ce moment là. Je sens encore les odeurs d’huiles, lourdes et j’entends encore les battements des machines, les emballements épisodiques de l’hélice lorsque les pales sortaient de l’eau.



Un paquebot qui s’arrête en plein élan, c’est fou comme c’est bruyant ! Les tôles vibrent ... Un aviso britannique nous arraisonnait. Je pensais à mon petit camarade, resté en France, dont le père avait péri au fond, dans un sous-marin. Cette mort avait hanté mes nuits ... Sait-on ce que cela peut être, pour un petit garçon de sept ans, d’étouffer la nuit au fond de l’océan ? Le naufrage d’un sous-marin, est-ce que cela fait autant de vacarme que l’arraisonnement d’un paquebot ?

Mon père à moi était chargé de la construction d’un centre de ballons captifs à Casablanca.

Une fois installé là-bas, près des “Roches Noires” j’appris, une bribe après l’autre, car les “grands” ne parlaient pas de cela aux enfants, qu’il se passait en France des choses très graves et mystérieuses. Moi, j’avais pour m’amuser la compagnie d’un épervier apprivoisé et de deux marcassins qui accompagnaient le chien partout. Il y avait aussi une piscine en mer toute proche.

Je pense que mon père fit un séjour sur le croiseur Jean Bart : Une plaque de bouche aux armes de ce navire est longtemps demeurée sur son bureau. Par contre, je ne crois pas me souvenir de cette fameuse nuit où l’on vit des avions anglais mitrailler la rade.



Toute la population était, paraît-il montée aux terrasses pour admirer les balles traçantes et les fusées éclairantes. Je crois bien que c’était le quatorze juillet !

On n’aimait pas les Anglais, dans la marine. On parlait de Mers-El-Kébir.

Des images et des mots disparates constituent mes souvenirs : Les cavaliers chamarrés du Sultan, avec leurs capes rouges, des dromadaires en files interminables, le balcon de l’appartement que nous avons habité à Rabat, à côté d’un magasin de jouets qi s’appelait “Au Nain Bleu” ... De ce balcon, j’aspergeais les passants en soufflant dans le bec d’une gargoulette. Je me souviens aussi des bougainvillées qui grimpaient sur un mur, à l’entrée d’un tunnel ferroviaire. Je me souviens du mausolée du Maréchal Lyautey, des pistes rouges partant d’Agadir vers les déserts du sud et des neiges lointaines du Tizin’Test ... Des noms me reviennent en mémoire : Giraud, Darlan, Weygan, le Maréchal.

Je ne sais qui m’apprit à chanter “Maréchal Nous Voilà” et puis “C’est nous les Africains qui revenons de loin “ On parla ensuite des Américains : Ils risquaient de “débarquer”.





Ils allaient “débarquer” ... Je ne compris ce que cela signifiait que lorsqu’ils eurent “débarqué”. Il y avait eu de nombreux morts français à Port-Lyautey.

Mon père était préoccupé : Il attendait un rouleau-compresseur qui arrivait de Rabat à petites étapes, lentement, par ses propres moyens. On en avait absolument besoin pour rouler la piste du terrain d’aviation qui se construisait à Inezgane, près d’Agadir. En l’absence de camions, cette piste, elle se réalisait avec des cailloux concassés à la main et transportés dans des couffins, à dos de dromadaires ...

À la réflexion, il me semble que je n’ai guère connu mon père autrement que “vu de dos“ : épaules rondes, mains croisées sur le creux des reins, . Il part à la Base. Celle de Casablanca est entourée de grillages et de barbelés, elle a deux hangars immenses. À Port-Lyautey, mais je n’y étais pas je crois, c’est dans un hangar à ballons que le Père Noël est descendu du toit en parachute pour distribuer des bonbons. C’était avant l’arrivée des Américains. Eux, un peu plus tard, ils nous donnaient des Pommes rouges qui nous émerveillaient.

La Base, à Agadir ... On m’y mène, environ une fois par mois, pour me faire couper les cheveux chez le “bouif”, c’est ainsi que l’on appelle le coiffeur ...



C’est aussi à Agadir, juste devant le factionnaire dans son aubette, que mon père, en tenue d’officier de marine, grimpa dans un arbre pour dénicher des tourterelles. Le Commandant attendait au pied de l’arbre pour recueillir les oisillons dans sa casquette ! Je n’ai jamais su ce qu’en pensait le factionnaire ... En tout cas, c’est moi qui élevai les tourterelles.

On a cassé beaucoup d’avions à Agadir : Je pense qu’ils étaient un peu vétustes, Catalina, Dewoitine, S.B.D. , Lightning ...

Un Dewoitine se posa sur le dos d’un dromadaire qui batifolait sur la piste ... Le dromadaire fut sain et sauf ! Il a figuré dans le blason de la base.

C’est avec un S.B.D. que le père d’un de mes petits camarades, qui s’appelait Ortolan et qui devint Amiral, eut un accident : Il parvint à s’éjecter en parachute mais resta pendant deux jours accroché aux branches d’un arganier, sur la pente abrupte d’un ravin.

J’ai beaucoup servi d’enfant de chœur, pour les offices d’enterrement. Des femmes en noir pleuraient, des gallons brillaient, des cierges filaient une âcre fumée. Une “marinette” secouait la cloche en rythmant la sonnerie avec les mouvements de sa croupe.


Aussi souvent que je le pouvais, je fouinais dans le coin où s’entassaient les carlingues disloquées. Je collectionnais les cadrans des tableaux de bord et autres bizarreries. Je découvris ainsi le duralumin, qui était un nouveau matériau. Un jour, mon père faillit me surprendre dans le cimetière des avions. Je me tassai au fond d’une carlingue : Il ne jeta qu’un coup d’oeil rapide à l’intérieur. Je me souviens très bien du raclement de gorge qui lui était habituel.

Arrivent, donc, les Américains. Je me demande si le mot fut d’abord utilisé pour désigner ces soldats étrangers, noirs souvent, qui distribuaient de la gomme à mâcher, autre nouveauté, ou bien pour désigner les officiers français qui arrivaient d’Amérique et d’Angleterre. Il me semble que ces derniers n’étaient pas très aimés, on utilisait à leur égard un peu le même accent que celui qui servait à parler des “biffins” ou, pis encore ... des “Autres”, ceux de l’Armée de l’Air.

Mes frères et moi, nous avions un âne. Il nous jouait des tours. Il se roulait, les quatre pattes en l’air, dans chaque crottin qu’il rencontrait au bord du chemin. Il fallait avoir l’oeil et sauter à terre lestement! Longues promenades vers le sud. Jusqu’à ce que l’un d’entre nous eût l’idée saugrenue d’enfoncer un piment rouge dans le derrière du bourricot pour le faire avancer plus vite. Cela fut efficace : On ne l’a jamais revu !



La “guerre” pour un enfant de dix ou onze ans, c’est ça. Dans le jardin, il y avait des coings qui sentaient bon. Du côté de l’oued Souss, les Légionnaires venaient faire l’exercice parfois. Sur les rives, il y avait des champs de roseaux et des sarcelles s’envolaient quand on battait leurs feuillages.

Les adultes avaient des préoccupations incompréhensibles. On parlait peu de De Gaulle, dit “Le Grand Charles,” qui faisait des discours derrière un microphone, à Londres. Il suffisait de parler de l’Angleterre pour que s’échauffent les esprits : Dunkerque, Mers-El-Kebir. Les “F.F.L. et les “Anciens” s’observaient : Il était question du “sabordage” de la flotte à Toulon ... Qu’est-ce que c’est qu’un sabordage ? On parlait des Américains, les vrais, les mangeurs de chewing-gum, comme on eût parlé de sauvages ... “Bandes de convicts libérés” pour constituer les troupes de choc, noirs arrogants qui conduisaient trop vite leurs énormes camions. “Cow-Boys” qui poursuivaient les gazelles en jeep et les tiraient à la mitrailleuse ... Et puis, c’était bien connu : “Les Américains ne connaissaient rien aux Arabes” !

-” Vous verrez, il n’y a que le pétrole qui les intéresse ici ! “




C’est vrai ... En Afrique du nord, il y avait aussi ... les Arabes ! Il y avait les cochers des fiacres sur les avenues des grandes villes. Il y avait les petits cireurs avec leurs tabourets. Il y avait les vendeurs dans les souks, au milieu des cuivres, des lampes, des laines, des cuirs et des épices. Il y avait les laboureurs tenant les mancherons des araires de bois, dans les champs de cailloux. Il y avait les serveurs de thé à la menthe et de gâteaux au miel, sous les tentes caïdales, aux jours de grande diffah. Il y avait les Caïds, enveloppés dans leurs djellabas bleues ou d’un blanc immaculé.

Pendant les jours de Ramadan, les Arabes étaient bruyants tous les soirs. Ils l’étaient encore plus lorsque passait un nuage de criquets pèlerins : Youyous des femmes et tintamarres de casseroles heurtées. Nous, nous faisions griller les sauterelles pour les manger. On disait les Arabes durs au mal. L’un d’eux aurait parcouru plus de dix kilomètres dans le bled, éventré, retenant ses intestins dans le creux de son burnous. On l’avait sauvé !

-”Ah, mon bon Monsieur, les Arabes !” Sur notre chemin, lorsque nous nous promenions avec notre âne, les Arabes nous offraient des oranges, des quartiers de pastèque, des galettes chaudes ... Ah la kisrah ! J’en ai encore l’odeur aux narines, la bonne odeur du blé cuit. Les Arabes, au Maroc, ils sont fidèles et bienveillants.



Lorsque nous fûmes à Oran, à partir de mille neuf cent quarante quatre je crois, mon père se fit plus rare encore. Nous logions en ville et la base se trouvait loin, à Tafaraoui, près des lacs salés. Il partait tôt le matin . Il ne rentrait pas tous les soirs. Un jour, étant resté à la maison pour une quelconque maladie, il s’aperçut tout de même que notre mère avait de plus en plus de difficultés pour faire son marché : cent vingt cinq grammes de pain par personne et par jour, que j’allais chercher chez un boulanger de la rue de la Révolution, au cœur du quartier juif, là où les boutiques sombres sentaient l’huile d’olive et le beurre rance, l’encens peut-être aussi ? Que sais-je encore ? Le boulanger pesait le pain, le tranchait, et puis ajoutait une tranche pour faire la pesée. Je dévorais la pesée en cours de route, avec une merguez lorsque j’en avais les moyens. Jusqu’au jour où ...

-”Vous savez, les merguez ... Dans le quartier juif, on y a trouvé des doigts, des doigts d’enfants ...” Rumeur, que ne fais-tu pas dire ? Et quelles sont les rumeurs qui n’ont pas couru ?

Des Arabes nous apportaient de l’eau potable dans des bidons qui avaient contenu de l’huile ou du pétrole autrefois. Au robinet, l’eau était rare et saumâtre, néanmoins on laissait le robinet de la baignoire ouvert toute la nuit pour profiter des rares instants pendant lesquels l’eau coulait.


Pour la monter au quatrième étage et nous la vendre, le porteur demandait un prix extravagant. Quatre bidons de fer blanc : Deux à chaque épaule ... C’est qu’il allait chercher l’eau dans la montagne, lui ! J’ai vu ma mère pleurer parce qu’on lui proposait une boîte de lait condensé au marché noir ... Qu’elle n’avait pas les moyens de payer, or notre jeune sœur était un bébé et notre mère ne pouvait pas l’allaiter.

Lorsque notre père prit conscience de nos difficultés, ( il déjeunait, lui au mess de la Base ) il se mit en quatre pour nous aider. Il allait chez les colons, nous rapportait un plein sac d’artichauts ou de choux-fleurs, un sac de farine de maïs, un demi-porc ...

Notre mère roulait la pâte, avec l’aide d’un matelot d’origine italienne. Elle faisait des nouilles fraîches. Elle découpait le porc sur le balcon, en se cachant des voisins et des passants. Mais que faire d’un demi-porc quand on n’a pas de réfrigérateur ? Que faire d’un plein sac d’artichauts, même avec quatre enfants autour de la table ? On en mangeait tous les jours, à tous les repas, jusqu’à épuisement. On en donnait au voisin, qui me fournissait en cahiers d’écolier (comment en avait-il en réserve ? ) Pendant des heures, on se relayait pour faire la queue devant le marché aux poissons. Un jour, je n’en rapportait qu’un seul, un poisson-volant : tout ce qui restait parce qu’il avait glissé à terre !

Il y avait deux files pour faire la queue devant les boutiques : une file pour les Européens, une file pour les “Arabes”.

-”Vous verrez, un jour ils nous passeront devant !”


Nedjma travaillait à la maison. C’était une grande et belle femme, jeune et svelte. Une étoile bleue était tatouée entre ses deux yeux. Sa peau était dorée. Les jours de fête, les paumes de ses mains étaient teintes au henné. Nous l’aimions beaucoup et elle nous le rendait bien. Elle est restée longtemps chez nous. Je revois ses longs doigt allongés, quand elle roulait la semoule de couscous.


Liesse à Oran, pour la célébration de la libération de Paris. Tout le monde en fête, sans distinctions, les “Arabes” comme les Européens et tous au beau milieu de la rue. Drapeaux, lampions, musiques et chansons, j’avais treize ans.

Peu après, nous avons rejoint la France à bord du tout premier paquebot en partance. Il s’appelait le “Médi II “. Nous avions, j’ignore à quel titre, mais sans doute était-ce parce que notre père s’était bien débrouillé, le statut de rapatriés sanitaires.




Nous avons débarqué à Toulon : ferrailles tordues de la flotte sabordée, ferrailles noires, acérées et sinistres, émergeant des flots ... C’était donc cela, la guerre ! Longues files d’hommes habillés de drap vert-de-gris, à calots ou bizarre casquette. On lisait les lettres P.G. dans leur dos, (prisonnier de guerre ). Longues files d’hommes humiliés : Les “Fritz”, montant les passerelles, les redescendant avec des colis sur le dos, fourmis ... hommes de bât !

... Le train. Wagons sales et puants. Le train se détourne ou s’arrête, à chaque pont détruit ... C’est donc cela aussi, la guerre ! On nous oublie sur une voie de garage, cela arrivera plusieurs fois. des jeunes femmes de la Croix Rouge nous découvraient, nous demandaient d’où on venait et où on allait. Elles nous apportaient du lait et du pain. Il nous fallut sept jours et sept nuits pour arriver à Bordeaux où notre père nous attendait. Nos cheveux étaient pleins de poux et nos mains avaient la gale. Nous sentions le rance et l’ordure.

Fossés anti-chars aux portes de la Rochelle, champs de mines dans les dunes d’Oléron, dans les bosquets de Port-des-Barques et ceux de Fouras. Je collectionnais les petits drapeaux en fer qui avaient servi à signaler les mines.




Canons tordus ... Tombes fraîches dans le sable, à Boyardville et à Saint-Trojan-les-Bains : Un piquet de bois surmonté d’un casque d’acier. À Rochefort, il y avait des affiches sur les portes de certaines maisons, proclamant des cas “d’Indignité Nationale” et de “Suppression des droits civiques”. On racontait des histoires de femmes tondues. On parlait des ruines de Royan “libéré”. On racontait des histoires de “Résistants de la dernière heure “.

Des prisonniers de guerre allemands ou autrichiens, que l’on appelait tous des “Boches”, n’est-ce pas ? coupaient du bois de chauffage à la campagne au bénéfice des familles, d’autres recousaient nos galoches et nos chaussures, d’autres encore, interminablement, portaient des charges sur leur dos. Un chirurgien de Constance faisait office de maître d’hôtel au carré des officiers. Il semblait qu’ils étaient tous là pour toujours ...

Nos parents faisaient du savon dans la cour de la maison, mêlant la soude et le suif. La lessiveuse bouillait. On mettait des œufs en conserve, dans une gelée de silicate à l’intérieur de la cuve en verre d’une batterie de sous-marin.





De longues expéditions en Vendée arrivaient des légumes, du beurre, des joues et des queues de bœufs, des mamelles de vaches parfois, dont notre mère faisait des ragoûts.

-”Sur la route de la Rochelle. Trois enfants ont sauté en jouant avec des explosifs.”

Mon adolescence fut l’occasion de voir fleurir sur les murs des slogans d’ingratitude ; “U.S. Go Home !” On distingue encore quelques uns de ces graffiti, sur certains murs de la Rochelle. Je ne tardai pas à coller des affiches pour le compte de l’association Paix et Liberté, ce qui me conduisit parfois au poste de police. Le Député, sur un coup de téléphone, nous en sortait vite, mais on nous confisquait nos pots de colle et nos pinceaux ! Le même Député nous fournissait en bons d’essence pour nos ballades.

On apprenait de temps à autre quelque incarcération, pour marché noir la plupart du temps.

Mon ami Olivier travaillait à la S.N.C.F. Il était comptable à la gare de Rochefort.


-”Ne t’inquiètes pas, le soir du Grand Soir, ils me trouveront.”




Il avait de sérieux titres de résistance. Il connaissait, disait-il, toutes les caches d’armes de la région. Dans les tiroirs de sa commode, il y avait un fusil-mitrailleur et quelques mitraillettes. Je croisais parfois dans son couloir une femme qu’il ne devait pas mettre ailleurs que dans son lit : certaine odeur de clandestinité là encore ! Il était mon ami. Je tairai son véritable nom. J’appris un jour qu’il avait puisé dans la caisse de la S.N.C.F. pour acheter un ou deux camions qu’il louait à des entreprises locales et un chalutier dans le port de La Rochelle ! C’est le chalutier qui le fit prendre je crois. On le jeta en prison. Il mourut peu après, d’un cancer. La Nature fait parfois bien les choses. Un, parmi tant d’autres, qui ne s’était jamais remis de sa guerre ... Je ne renie pas cette amitié.

Voilà ce que fut la guerre pour moi, ballotté, tâtonnant, le cœur en bandoulière. Il me fallut ensuite apprendre le reste, beaucoup plus tard, à l’issue de cinq ou six années obscures dans des internats hostiles où me conduisirent les affectations paternelles.

Il me fallut encore une autre guerre, dans laquelle je fus engagé cette fois. pataugeant dans les éteules boueux et les collines caillouteuses ... Une autre guerre où je perdis ma foi et mes tripes.

jeudi 17 juillet 2008

Les grandes migrations













On les a vus venir dès le début du mois de juin, comme d’habitude. Ils arrivent en couples. C’étaient plutôt des individus d’âge mûr, surtout au début. On voit qu’ils n’ont pas de progéniture à leur charge. Autrefois ils étaient assez stables, ceux-là. Ils s’installaient sur une plage et n’en bougeaient guère, se protégeant du soleil et allant, de temps en temps seulement, faire trempette à l’endroit où les vagues allaient mourir ... quand les vagues n’étaient pas trop fortes. Ils arrivent vers quinze heures, après avoir fait la sieste, et ils repartent quand le soleil commence à baisser, un peu après dix huit heures. Ils sont calmes et on ne saurait su quel langage ils parlent, tant ils font peu de bruit.


Pendant tout le mois de juin ils continuent à arriver. Peut-être que le nombre d’arrivants augmente un peu à partir de la mi-juin mais ils ne forment pas de gros attroupements : Deux, trois couples ensemble parfois, guère plus. Il faut reconnaître que cette tranche d’âge est devenue, de nos jours, beaucoup plus mobile et beaucoup plus grégaire, beaucoup plus bruyante aussi. qu’autrefois : On les croirait plus jeunes !
Mais ce sont toujours ceux-là qui arrivent les premiers.






C’est vers le milieu de juillet que les autres arrivent, venant d’où ? _ De partout, des quatre directions cardinales et même de toutes les autres directions de la rose des vents. Ceux-là, ils arrivent en groupes : Toute une famille à la fois ... Les jeunes adultes sont accompagnés de leur progéniture. Chaque couple est suivi d’un, deux, trois ... jusqu’à quatre ou cinq jeunes immatures de tailles différentes. On retrouve ces groupes familiaux sur le sable, parfois dès le matin. On reconnait les mâles à leur ventre bien arrondi et leurs compagnes à la largeur de leur fessier, (Encore qu’il soit bien évident que la plupart se donnent beaucoup de mal pour avoir l’air de cupidons et de sylphides, mais .... ). Ils se vautrent sur la plage, crient, courent, sautent, plongent, nagent, jouent, caquettent. Ils dorment beaucoup et souvent : Leur peau huilée dore au soleil, rougit, brunit, brûle parfois même, en se couvrant de cloques. Certains ne quittent la plage que lorsque leur peau se détache en lambeaux et se soulève en lanières. Les petits s’éclaboussent en hurlant, c’est leur passe-temps favori.


On peut observer que les adolescents s’éloignent parfois du groupe familial. De parade en parade, cela finit souvent dans les dunes ou dans le secret des forêts.










Juillet et août constituent le temps des parades et des appariements, passagers ou plus ou moins durables. Beaucoup cessent dès la fin août et les couples qui paraissaient les plus étroitement liés se séparent alors. Certains, pourtant peuvent durer ...


Pendant ce temps là, les parents semblent pleins d’indulgence. Ils laissent aller, se souvenant peut-être de leur jeunesse.




Au moment où le soleil se couche, les adultes et les petits s’en vont. Les adolescents, parfois, restent et s’adonnent à des jeux plus sérieux.
*
De qui sommes-nous en train de parler ? _ Des otaries, des éléphants de mer, des phoques ou bien des manchots-empereurs ?


Il est vrai que tout ce que je viens d’écrire pourrait être dit à propos des habitants de l’Arctique ou de l’Antarctique ... Corps huilés, lisses, se roulant dans les sables et dans les vagues, atteignant les plages toujours aux mêmes dates, les abandonnant tous ensemble pour des destinations inconnues, grognant, se prélassant, dormant, dormant beaucoup au soleil ...








Mais c’est des hommes que je parle. Des hommes et des femmes qui “sont en vacances”. Arrivent les premiers ceux qui, ayant pris de l’âge, n’ont plus charge d’enfants.


Les suivent, arrivant à la plage pratiquement le même jour, à la même heure, les jeunes et les groupes familiaux. Ils repartiront tous le même jour ou presque, avec leurs enfants ... Seuls resteront encore un peu les couples âgés ... Beaucoup d’entre eux se déplacent maintenant en camping-cars, les autres logent dans des mobile-homes en matière plastique.


Qu’est-ce qui les fait migrer ainsi ?