lundi 4 août 2008
LA GRENADE
La seule fois où je revins au château, à l'aube, quand je m'éveillai dans mon fossé au bord de la route, me redressant, je m'aperçus que je me trouvais au pied de la butte du moulin. Son nom m'échappe et j'enrage de ne pas pouvoir le retrouver. Il appartenait à Monsieur le Marquis. On y pressait les olives. Je ne saurais lui attribuer un âge : Il surgissait du fond des temps. Odeur des fruits écrasés par la meule verticale et qui tournait ... Parfum un peu acide. Fruits écrasés et réduits en pâte violette. Les ouvriers la tassaient dans des couffins en forme de couronnes qu'ils entassaient sur le pressoir. On entendait grincer la roue à aubes, dans le cours du ruisseau. Les axes en bois d'olivier sans âge tournaient, luisants, forts,indestructibles. L'huile vierge coulait. Mille parfums ! Nous étions sortis de la durée, sortis du temps ! Le moulin existe-t-il encore ? Le moulin tourne-t-il encore ?
Quarante cinq ans ont passé. Les feuilles des oliviers sont toujours argentées sur une face, vertes sur l'autre. Le vent les agite. La terre est rouge toujours. Passent les années, se transmettent les noms, perdurent les vignes et les arbres. Y a-t-il des perdrix encore, aux pentes du Thoronet ? Rappellent-elles leurs pouillards ? Le faucon-crécerelle décrit-il encore des cercles au-dessus des ravins et siffle-t-il encore ?
À droite, du collège, juste à le toucher, il y avait une fabrique de tomettes. L'argile rouge, malaxée,broyée, diluée, reposait dans de grands bassins. Elle y prenait consistance, se ressuyant au soleil. Qui dira la douceur de l'argile rouge quand la main se referme ? Comme il se doit, les tomettes étaient exagonales, cuites, lisses, mates, elles étaient empilées et rangées avant l'expédition. Splendeur de l'humble tomette, fruit du travail des hommes ! Terre devenue autre chose que de la terre, et cela, depuis la nuit des temps ! Les tomettes, les couffins de paille tressée dans lesquels on pressait les olives, les bassins, les oliviers millénaires ... hors du temps, comme les tours du château, comme les murs de la 'Grande Bastide" . Pourqoi faut-il qu'à présent, ces repères soient pour moi perdus ?
Dans le sud marocain coulait le Souss. Les paysans foulaient la glaise avec de la paille hachée, pour en faire des parpaings d'adobe, qui sécheraient au soleil. Pendant ce temps-là, des guerres se déroulaient quelque part. L'âne aux yeux crevés, pourtant, tournait toujours la noria, dans les jardins de Rabat. Les godets déversaient l'eau claire et qui chantait. Les cigognes craquetaient sur les remparts des vieilles villes, en renversant la tête.
En Algérie, je n'ai rien connu des passions du monde, que des instants d'ivresse et de folie : Les embrassades et les drapeaux, les foules, toutes couleurs confondues et toutes formes, célébrant dans les rues d'Oran la libération de Paris. J'avais débarqué à Toulon pour n'y voir que ferrailles tordues et prisonniers par colonnes entières, surgis d'où, allant où ? À Rochefort, j'avais vu rouler des files et des files de camions américains. Les graffiti, sur les murs de nos villes n'avaient pas tardé à réclamer le "Go Home" de nos libérateurs.
J'avais joué au football avec des prêtres vendéens. J'avais sonné du clairon à la tête des processions, de reposoir en reposoir. Dans le Var, j'avais appris à "changer de peau" aussi souvent que je changeais de territoire ...
Où et quelle logique ? Quelle unité dans tout celà ?
Hors du temps !
En Provence, on ne croisait pas de camions américains. Personne ne parlait de la guerre récente. Y avait-il eu, même, une guerre ici ? On semblait plutôt craindre des guerres intestines à venir. Il y avait des grèves partout.
-"Le Communisme cherche à s'étendre et à prendre le pouvoir". Nos officiers faisaient des plans à mi-voix. On reparlait du "Grand Soir".
-"Le soir du "Grand Soir, il faudra sauter dans les camions et gagner Saint-Raphaël. Ici, la base ne pourra pas résister."
J'avais déjà entendu des choses identiques lorsque nous étions à Agadir.
-"Si les Américains débarquent ici, il faudra sauter dans les camions. Les pleins doivent être faits en permanence. Nous essaierons de gagner Dakar par le désert ..."
Il y avait si peu d'armes, si peu de marins, autour de ce qui n'était qu'un vaste chantier de construction d'un aérodrome ! Les colonnes interminables de dromadaires transportaient les pierres dans des paniers, les pierres que l'on avait concassées à coups de marteaux ! Quand un dromadaire s'agenouillait pour qu'on décharge son fardeau, il allongeait son cou d'animal antédiluvien, renâclait, dressait la tête, poussait de cris étranges, montrait ses dents jaunes, et bavait ...Nous étions, là-aussi, complètement hors du temps !
L'Aumônier était venu chez nous, L'Abbé Souris ... C'était véritablement son nom. Il avait sorti ne bouteille de champagne ...
-" Nous ne savons pas ce qui peut nous arriver. Commandant, il faut baptiser votre fille ! Nous ne savons pas si nous parviendrons à gagner Dakar en cas de besoin !"
Et maintenant, si c'est le soir du "Grand Soir" ... Allons-nous fuir vers Saint-Raphaël ?
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1 commentaire:
l'abbé Souris ...
j'avais déjà lu ce texte, et qq chose m'avait alertée, sans que je puisse mettre le doigt dessus !
ET, aujourd'hui, des mois après cette première lecture, je crois avoir trouvé ! ...se pourrait-il que ce soit le même ?
Ce serait vraiment une coïncidence extraordinaire !!!!!!!
Dans les années 50, il y avait, si mes souvenirs sont bons, dans un pensionnat religieux du Limousin, un abbé, déjà âgé, l'abbé Souris ( exactement Souris-Lavergne, mais il n'usait que du premier...le nom composé étant réservé à ses nièces , religieuses au pensionnat !)
Un curieux homme, pas beni-oui-oui, pour qui on ne plaisantait pas sur le fond des choses de la foi, mais un esprit ouvert et moderne !
Il se piquait même , si je me souviens bien, d'astromie et d'astrologie ... Toujours disponible ...
Le même homme? ce serait tout de même étonnant !
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