mardi 5 août 2008

"Gloire Immortelle de Nos Aïeux !"















Au lycée Lamoricière, j'avais commencé à étudier le latin ... avec autant de succès que daans mes études de solfège ! Du reste cette étude de langue morte me rappelait un peu l'étude de la musique telle qu'on la conduisait dans ce temps-là : "rosa, rosa ..."
J'eus tellement de succès que l'on me conseilla vite d'abandonner. Il faut dire aussi que l'haleine de mon professeur sentait plus souvent le vin que la rose ! Par contre, je continuai à étudier l'Anglais : J'aurais été bien incapable d'enfiler des mots dans le bon sens pour aller acheter une boîte d'allumettes à l'épicerie du coin ! Mais je connaissais des mots : On nous faisait apprendre des listes de mots ..;Ils se déposaient par couches dans ma mémoire latente. Je fus tout étonné de les voir ressurgir lorsque j'en eus vraiment besoin ... quarante ans plus tard ! Pour l'heure, il me souvient que j'étais censé traduire Peter Pan et The Tempest, de Shakespeare.


Arrivé en provence, c'est l'Italien que je fus obligé d'aborder comme deuxième langue, proximité de l'Italie oblige. J'aimais bien l'Italien, très musical, mais cet enseignement était encore une autre rupture pour moi car les Bons Frères vendéens m'avaient initié ... à L'Espagnol ! J'avais également aimé l'Espagnol et ses sonorités viriles. Plus tard, en un autre collège encore, je ne trouvai ni professeur d'italien, ni professeur d'Espagnol. On me proposa l'Allemand ... que je refusai : cela allait bien comme ça !


À la maison, nous dansions quand les filles du marquis venaient dîner. Après avoir mangé des brochettes sur la terrasse, nous repoussions les meubles contre les murs de la salle à manger et nous mettions en route le tourne-disques Teppaz. Je dansais très mal. Et je ne danse pas mieux maintenant. Mais j'étais ... Je peux bien le dire, j'étais amoureux. De qui ? -De toutes les filles du Marquis, toutes à la fois ! J'aimais, et jje prétends que l'amour préexiste à la rencontre de son objet. Pour l'instant, il était diffus. Il n'y avait pas vraiment d'objet, mais il était bien là.


Nous dansions le paso-doble, avec des allures espagnoles et la samba brésilienne. J'aimais ... L'aînée avait une lourde chevelure châtain, elle était coiffée de rouleaux qui lui faisaient une couronne, la seconde était blonde, la plus proche était la plus proche de nos âges. Le dimanche, ou bien pendant les périodes de vacances, nous faisions de longues balades à bicyclette.


-"T'en souviens-tu, nous escaladions le massif des maures, en file indienne ou bien par paires ?


L'époque était bizarre : la guerre était si proche encore et si lointaine tout à la fois ! Elle avait laissé ici si peu de traces ... Les vignes étaient bien alignées, bien soignées, les façades étaient passées à l'ocre, les trains roulaient, crachant la fumée et tirant ls chargement de bauxite. Le "soir du GRAND SOIR" n'en finissait pas d'approcher.


-" Mais De Gaulle a fait rentrer Thorez et il y a des Ministres Communistes !"


Qu'est-ce que c'était, en fait, qu'un "Communiste" ? - Il fallait les craindre.
Y avait-il eu ici des Résistants ?
Il y en aurait eu.




Le gendre du proviseur du lycée de Draguignan s'appelait François. -" Il en parle assez pour que nous le sachions", disait mon frère aîné qui fréquentait cet établissement.


-"Mon gendre François ", disait-il. Et le proviseur, lui, s'appelait Monsieur Gouze. Ses élèves le surnommaient "Lauk", bien sûr. Pourquoi "Lauk" ? Ce mot désigne l'oie en Provençal ... Pourquoi" l'oie" ? _ À cause de "goose", en Anglais !




Notre colonne de bicyclettes s'engageait dans des chemins invraisemblables, non goudronnés et caillouteux. On longeait des talus, on passait entre les oliviers et les pins. Nous finissions toujours par arriver dans un hameau. Ce n'était jamais le même, mais ils étaient tous déserts. Le foin se trouvait encore au râtelier des étables, il y avait de l'eau dans le puits et le seau pendait à la chaîne. La fontaine coulait. Le hameau comptait cinq ou six maisons vides aux portes et aux volets battants. Les murs étaient faits de la même pierre dont on avait construit les terrasses aux flancs des collines. Aux façades il y avait des roses épanouies, il y avait des fruits aux branches des amandiers et des figuiers. Les vignes étaient un peu devenues folles, mais il y avait des grappes sous les feuilles.


Souvent, dans ces hameaux intacts, j'ai trouvé à terre, brisée, une plaque de marbre. En la reconstituant à la manière d'un puzzle, on pouvait déchiffrer une inscription qui indiquait que là s'était installé un Chantier de Jeunesse.


-"Maréchal, nous voilà !" - Je connaissais celà. Je savais les blousons, les pantalons de golf, les badges et les bérets. Le mât du drapeau était encore en place. On pouvait imaginer toute une vie ... J'en verrai, tout au long de ma vie, des plaques brisées, de marbre ou de bronze ! J'en entendrai, des chants de gloire !


Dans les maisons de ces hameaux, les meubles avaient disparu, les fenêtres étaient ouvertes, qui donnaient sur des panoramas éblouissants de paix, de beauté et de lumière, toujours dans le chant des cigales ! Sont-elles encore debout, ces maisons ? Je les pense habitées par de blonds Hollandais et leurs enfants, par des familles anglaises, ou par des familles allemandes, aux jours d'été. L'eau des fontaines coule-t-elle claire encore ?


Nous cherchions des "moines" sous les pierres des murets de terrasses. Ce sont de petits escargots blancs ou rayés de noir. La Mère Fournier préparerait la "suçarelle" à l'épaisse sauce. Vous prenez une coquille entre deux doigts, vous sucez ...Tous les parfums des herbes de Provence !


Nous étendions une nappe sur le sol. Nous sortions le déjeuner. Après avoir bien ri et bien mangé, nous partions dans la garrigue pour grapiller. Nous rencontrions ici une grappe, ici un abricot, là une pêche. Nous rentrions tard le soir.






L'été, ma famille prenait le train et partait dans l'île d'Oléron, par Toulouse et Bordeaux. Debout dans le couloir du wagon ou bien allongé sur le plancher, dans un soufflet. L'air sentait le charbon. Au gré des courbes de la voie nous apercevions la locomotive. Nous recevions des escarbilles dans les yeux. Nous arrivions épuisés.


Nous rendions d'abord visite à ma grand'mère paternelle, à Rochefort. Notre maison était louée, mais elle occupait un petit appartement dans le fond de la cour, au premier étage. Elle vivait seule, cousant, tricotant, faisant du crochet, brodant des coussins.


-"Elle a de l'or au bout des doigts. Pourquoi n'a-t-elle jamais voulu travailler ?"


J'aimais bien ma grand'mère mais je ne la voyais que rarement. Lorsque nous allions la voir il semblait toujours qu'un malaise s'installait entre elle et mes parents. On parlait peu. On soupirait beaucoup. Ah ! les non-dits, dans les familles ! Pourtant elle m'écoutait, elle, elle me parlait lorsque nous en avions l'occasion. Mais il me semblait qu'en me parlant, elle se surveillait, comme si on avait pu la surprendre et lui faire des reproches. Ma grand'mère ne m'accablait pas, elle, sous les poids accumulés de mes "sottises" !


Oh ! Et puis quelles "sottises" ?


Javais laissé un jour tomber le seau au fond du puits ... J'avais raconté je-ne-sais-quoi, pour essayer de me faire valoir un peu ... En fait, ce que l'on ne me pardonnait pas, c'était mon manque d'intérêt pour les études. En cela, je n'étais pourtant pas le premier dans la famille, je crois. Quant aux sottises ... D'autres ont fait beaucoup mieux depuis !


Pendant un temps, mon grand-père maternel habita au fond de la même cour que ma grand'mère paternelle, avec sa compagne qui, dit-on, avait été sa bonne. Il y eut des prises de becs homériques entre le rez-de-chaussée et le premier étage. ! Le grand-père accusait la grand'mère de balayer intentionnellement les poils de son loulou de Poméranie par-dessus son balcon.


Ma grand'mère était veuve depuis l'âge de vingt ans. Elle avait vécu très peu de temps à Madagascar, où mon père était né. Elle était revenue de là-bas seule avec son bébé. Je crois que mes parents n'ont jamais admis qu'elle demeurât chez nous sa vie entière, sans travailler. Il y a toujours eu autour du personnage de mon grand-père paternel quelque chose qui tenait du mystère. Il était mort là-bas, à Majunga sans doute. Je comprenais qu'il n'avait guère réussi dans sa vie. Je savais qu'il avait été "Commis aux Écritures" dans l'Administration Coloniale, aux alentours de mille neuf cents ...


Un jour, je trouvai dans un tiroir une lettre dont l'enveloppe jaunie ne portait aucune mention de son auteur. J'y lisais : -"Pauvre Léon, lui qui aimait tellement son enfant" !






En fait, le grand homme de la famille, celui qui est à la fois l'aïeul et la référence, c'est mon arrière-grand-père paternel. Je possède une photo de lui, encadrée de bois doré, veste à boutons dorés, feuilles de chêne brodées d'or, assis sur u fauteuil, l'épée sur les genoux. Il a la tête nue mais son bicorne n'es pas loin. Il arbore de larges roufflaquettes ... Ludovic Savatier, Médecin-en-Chef de la Marine nationale. Il porte la médaille d'Officier de la Légion d'Honneur. Il a été l'un des tout-premiers européens à pénétrer au Japon, faisant partie aux environs de la moitié du dix neuvième siècle, d'un groupe de français installé là-bas pour y construire un arsenal. Il y resta plus de dix ans. C'est un botaniste célèbre.On raconte que, passant par la Chine, il se trouvait présent lors de la mise à sac du palais d'été. La soldatesque franco-anglaise pillait les bronzes et les porcelaines. Il sortit du palais, lui, avec une rose à la main ! L'histoire est belle, il faut la conserver; Elle est crédible puisque ses collections, son herbier, très important, est toujours exposé au Muséum d'Histoire Naturelle de Paris. En fait, elle est fausse sans doute : les dates ne lui permettaient pas de se trouver en Chine à ce moment-là. Mais elle est si belle, cette histoire ! J'ai vu des universitaires japonais en Oléron, venus tout spécialement pour avoir accès aux archives familiales et visiter la maison de Ludovic Savatier. Cette maison a été vendue ..;


-" La grand'mère a tout dilapidé. Elle s'est faite escroquer par son notaire."


A dire le vrai, la grand'mère n'y a jamais été pour rien. J'ai retrouvé une reconnaissance de dettes : son mari avait emprunté une forte somme, avant son mariage et son départ pour Madagascar. La pauvre femme avait tout payé. Silence dans la famille.


-"Elle a tout vendu. Il y avait des porcelaines précieuses, des étoffes de soie" ! ... Et pourquoi pas des Bouddhas en or pendant qu'on y était ! !Il ne reste presque rien ... Il n'y eut jamais rien d'autre, disent certains , rien que le portrait d'une jeune Japonaise, jouant d'une sorte de guitare ronde à cordes multiples ... Et puis des mots, il reste des mots ... Qui ne furent pas toujours tendres !


L'istoire de la succession de Ludovic Savatier est beaucoup plus compliquée que cela, je ne l'apprendrai qu'aux alentours de mes cinquante ans et je me demande encore pourquoi on l'a faite si compliquée ...






Mon grand-père maternel, lui était un homme d'un autre genre. Quel personnage ! Il avait, disait-on, construit et dévoré plusieurs fortunes, de vraies fortunes ! Je sais qu'il avait été, à un certain moment de sa vie chef de rayon aux Grands Magasins du Bon marché. Il avait des attaches, je crois, dans les Vosges. Il avait aussi vécu à Auxerre. Périodiquement, et je n'ai jamais su pourquoi, il déshéritait ma mère, sa fille. Il avait possédé un authentique château, peut-être deux. Il avait été zouave en Algérie et y avait construit des routes. Son beau-frère, l'oncle Pierre, disait en parlant de lui :


-" Ton grand-père, quand il n'avait plus un sou, il frisait sa moustache, il mettait son habit, prenait son chapeau ... Il allait sur les Champs-Élysées ... Il revenait riche ! C'est fou, le succès qu'il pouvait avoir auprès des femmes ! "


Époque de grands sauriens : Sur une branche collatérale de mon arbre généalogique figurent José-Maria de Hérédia, Pierre Louys, Henri de Régnier et René Doumic ... Sait-on que, désargenté, Pierre Louys s'installa dans un hôtel de Biarritz pour y écrire un livre ... Ce livre, il ne l'écrivit pas ... Il déménagea à la cloche de bois faute de pouvoir payer sa pension et celle de sa femme ... qu'il laissait en gage ! C'était la Belle Époque ! C'était la grande Époque !
Mon grand père et l'oncle Pierre avaient tous deux débuté comme garçons de courses chez Hachette ! Les deux derniers avatars de cette vie méritent d'être racontés. Ils valent leur pesant de sous percés !




Mon grand-père, en mille neuf cent trente neuf, possédait une villa dans le Parc, à Royan. C'était un homme avisé : Il avait prévu la guerre. Il avait prévu ( allez donc savoir pourquoi ! ) la destruction de Royan. Il avait donc vendu sa villa, dénommée "Clair-Matin". Il avait placé ses meubles au garde-meubles. L'Histoire lui donna raison : À la fin de la guerre, Royan était détruit ... Mais la villa était encore debout ! Par contre, le garde-meubles, lui, n'était plus que décombres. En tout et pour tout, accompagné de mon père, mon grand-père n'en retira qu'une commode dont il fallut refaire la plaquage décollé par la pluie !


Après avoir habité chez nous, à Rochefort, il perdit sa compagne. Il alla l'enterrer à Auxerre, puis il revint et compulsa son carnet d'adresses. Il en parcourut toutes les pages, s'arrêta sur un nom ... C'est ainsi qu'il reprit femme pour la dernière ligne de sa vie. La fiancée était tout juste retraitée des Postes ... Il avait, lui, quatre vingt quatre ans !


-" Et vous savez, il fonctionne encore, le grand-père ! "


Il ne vécut pas jusqu'à cent ans, mais il s'en fallut de peu.

1 commentaire:

Nyaël a dit…

Savoureux !


ET cette année, ce devait être bien émouvant d'aller au Japon, sur les traces de cet arrière grand-père !